LES CHIFFONNIERS DE PARIS
Antoine Compagnon
NRFGallimard – Bibliothèque illustrée des histoires – année 2017 – 496 pages –reliure pleine toile éditeur sous jaquette couleurs illustrée – tranchefile –illustrations en noir et en couleurs
Thèmes: histoire, société, 19èmesiècle
État: bon état, propre et solide
Présentation de l'éditeur
Leschiffonniers de Paris au XIXe siècle : un sujet original et inattendu. Un sujetdune grande richesse, entre histoire, économie, urbanisme, littérature et art.
Morceau devieux linge, le chiffon sert à la fabrication du papier. Or la demande exploseaprès la révolution industrielle, avec lessor de linstruction et labondancede la presse. Le chiffonnier est à la fois linquiétant rôdeur des nuits de lacapitale et lagent indispensable des progrès de la société. Sa figure hanteloeuvre des écrivains et des peintres, dHugo à Baudelaire et ThéophileGautier, de Daumier à Gavarni.
Dans sonTableau de Paris, Louis-Sébastien Mercier repérait en 1781 sa montée enpuissance : «Le voyez-vous, cet homme qui, à laide de son croc, ramasse cequil trouve dans la fange et le jette dans sa hotte?... Ce vil chiffon est lamatière première qui deviendra lornement de nos bibliothèques, le trésorprécieux de lesprit humain. Le chiffonnier précède Montesquieu, Buffon etRousseau».
On voit lesdimensions que prend le sujet. Antoine Compagnon les explore avec une éruditioninépuisable. De lhygiène des rues de Paris à ladministration des déchets ; dela prostitution, dont le monde recoupe celui des chiffonniers, à leurrecrutement et aux mythes qui les entourent.
Cest à uneplongée toujours surprenante dans le Paris nocturne que nous convie lauteur,le Paris des bas-fonds et celui de limaginaire collectif. Qui croirait que lepremier dessin cité dans le Grand dictionnaire universel de Pierre Larousse àlarticle «Caricature» montre un chiffonnier?
Lecrépuscule du chiffonnage parisien date de la fin du Second Empire : onfabrique maintenant le papier avec la fibre de bois et, en 1883, le préfetEugène Poubelle décrète que les ordures seront déposées dans des récipients,lesquels prendront son nom.
Mais lemalfaisant marchand dhabits des Enfants du paradis, le film de Carné, suffit àillustrer la survivance du chiffonnier dans les représentations de Paris.
Antoine Compagnon est professeur de littérature au Collège de France. Parmi sesivres, Les Antimodernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes (2005), Le casBernard Fa (2009), La classe de rhéto (2012), L'âge des lettres (2015)
Repères historiques
Unchiffonnier est une personne dont le métier consiste à circuler dans les zonesurbaines pour récupérer, ramasser ou racheter des choses usagées et lesrevendre à des entreprises de transformation.
Lorigine duterme provient du chiffon, qui servait autrefois à produire de la pâte àpapier. En argot français, on parle aussi de « biffins ».
Ce métier aconsidérablement évolué : les chiffonniers daujourdhui sont devenus des «récupérateurs informels des déchets », qui collectent des objets ou matériauxpouvant avoir une certaine valeur. La récupération peut se faire enporte-à-porte, dans la rue, dans les décharges, dans les entreprises, etéventuellement, dans certaines poubelles, quand la législation le permet.
En France
Dans sonTableau de Paris (1781), Louis-Sébastien Mercier anticipe la fonction duchiffonnier moderne, il utilise ce mot et décrit son activité : « Levoyez-vous, cet homme qui, à laide de son croc, ramasse ce quil trouve dansla fange, et le jette dans sa hotte ? ».
Exercé enFrance depuis le XVIIIe siècle jusque dans les années 1960 (par exemple par leschiffonniers d'Emmaüs quillustra un film du même nom en 1955), il continue àlêtre par des personnes dans une situation économique de grande précaritéainsi que dans de nombreuses régions du monde.
À l'origine,le chiffonnier collecte :
• les vieux chiffons pour lespapeteries ;
• les peaux de lapin pour lesindustries de fourrure ou pour faire la colle de peau utilisée en ébénisterieou pour la marqueterie ;
• les os pour la fabrication de colle,superphosphates, phosphore des allumettes, noir animal, gélatine comestible oupour films photographiques, pièces de tabletterie ;
• la ferraille pour la métallurgie ;
• les boîtes de conserve pourlindustrie du jouet ;
• le verre ;
• les boues vendues aux fermiers enqualité dengrais ;
• le papier pour la cartonnerie ;
• les mégots dont ils faisaientcommerce pour le tabac.
En Europe etparticulièrement en France et en Italie, les chiffonniers restent dans lamémoire des anciens.
De coutume,ce « chiffonnier » que lon appelait le « peau de lapin » ou « biffin »,passait le dimanche matin pour ramasser la peau du lapin que la ménagère avaittué et dépouillé pour le repas dominical. Dans la semaine, cétait au tour deschiffons et ferraille que le chiffonnier transportait dans une carriole ou unevieille auto. Bien souvent les jeunes enfants se chargeaient de faire latransaction, ce qui constituait leur argent de poche.
Dans lacapitale française, lîle aux Singes et la cité des Mousquetaires (au 208 del'actuelle rue Saint-Charles, 15ème arrondissement) abritaient leschiffonniers, qui fonctionnaient selon un code très hiérarchisé : le piqueurremuait les ordures avec son crochet, le placier vidait les boîtes à ordures etle maître-chiffonnier se chargeait de la revente des déchets.
Vers 1850,on y dénombre 25 000 personnes, hommes, femmes et enfants, qui se livrent alorsau chiffonnage. Ils passent à 35 000 en 1884, période de lapogée duchiffonnage, le besoin exponentiel de papier résultant du développement de lapresse et de linvention en 1798, de la machine à fabriquer le papier encontinu par Louis Nicolas Robert. Avec le développement de la cellulose debois, la mécanisation et la rationalisation de la filière de la récupération,et avec lintroduction des poubelles et du broyage des déchets au début du 20èmesiècle, leurs effectifs déclinent8.
En Bretagne,on les appelait pilhaouers et ils étaient particulièrement nombreux dans lescommunes de Botmeur, La Feuillée, Brennilis et Loqueffret, situées en pleincœur des monts dArrée. Un musée, la Maison du Recteur, leur est consacré àLoqueffret.
Dans la culture populaire
Bien souventle terme « chiffonnier » a un sens péjoratif et est associé à une personne malhabillée ou se tenant mal, aussi bien dans sa tenue que dans son parler. Enrevanche le chiffonnier de métier, dont lhabillement était sali de par saprofession, exerçait un métier relativement lucratif et net dimpôt. Certainsartistes et écrivains considéraient le chiffonnier comme un philosophe quiméprise la civilisation et recèle une personnalité libre, ce qui fait écrirePierre Larousse dans son Grand dictionnaire universel du 19ème sièclepublié en 1869 « tout chiffonnier porte en lui létoffe dun Diogène. »
En France,la profession de chiffonnier est associée à la violence. Souvent fruit de lamisère et de lalcoolisme, la rixe entre chiffonniers est une sorte de jeurituel et codifié et est devenue si proverbiale quelle est à lorigine delexpression courante « se battre comme des chiffonniers ». Ces règlements decomptes sont la conséquence des luttes pour la défense des territoires decollecte. Ils ne se déroulent jamais sur la voie publique, mais dans le huisclos des cités de chiffonniers où les violences conjugales sont aussifréquentes.
Paris au 19ème siècle: l'intervention du préfetPoubelle
En 1884, lepréfet Eugène Poubelle modifie considérablement leur outil de travail enrendant obligatoire les boîtes à ordures vidées par une administration. Leschiffonniers peuvent cependant toujours vider ce quon appelle désormais des «poubelles » avant le passage des autorités. Des coopératives sont aussi crééespour combattre le pouvoir des maîtres-chiffoniers, mais sans succès : laSociété des Mousquetaires en 1890 ou LAvenir du 15ème arrondissementen 1900. Un syndicat, le Tombeau des lapins, est même créé, mais il estconcurrencé par celui de Montmartre, mieux organisé. Lurbanisation et lesprogrès en matière dhygiène mettent finalement un terme au métier dechiffonnier.
Lechiffonnage amorce son déclin à la fin du 19ème siècle lorsque laplupart des papetiers choisissent dutiliser de la cellulose de bois. La crisesaggrave au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, avec lapparition desfibres synthétiques et la fermeture des moulins à papier qui ne résistent plusà la concurrence des groupes industriels.
Ladisparition de ce métier tient essentiellement aux habitudes de consommationqui ont considérablement évolué à partir des années 1970, avec lapparition dela grande distribution et le ramassage des ordures généralisé dans tous lespays dEurope. Cependant, la récupération de déchets valorisables représente uncomplément de revenu, voire une activité, pour une partie paupérisée de lapopulation et les personnes sans-abri. Ceci est favorisé par la montée des prixdes matières premières, notamment les métaux, et la quantité dobjets jetablesqui est en perpétuelle augmentation.
En France,les « biffins » peuvent être considérés comme des néo-chiffonniers. À Paris parexemple, dans lest de la capitale, ils se regroupent pour vendre leurstrouvailles à la porte de la ville.